LE CINEMATOGRAPHE

JULES DE BEAUREGARD ET SON AMI EMILE BOMPARS VISITENT LOUIS LUMIÈRE ET SON CINÉMATOGRAPHE

En pénétrant dans l’atelier, Jules de Beauregard fait la connaissance de Louis Lumière, un homme au regard pénétrant et imposant à la fois, surmonté d’un front haut et large exprimant ainsi une volonté et une témérité à toute épreuve.....

Louis Lumière emmène ses deux invités dans un dédale de couloirs et de pièces regorgeant de toutes sortes d’appareils les plus hétéroclites les uns que les autres pour arriver dans un petit atelier entièrement dédié à l’image, comportant de nombreux boitiers et plaques photographiques et où trône en son milieu, l’invention de Louis Lumière.

– Voilà messieurs je vous présente notre prototype d’appareil de prises de vues en continu stockées sur pellicule perforée que mon père Antoine nous suggère d’appeler commercialement « le Domitor ». Le nom scientifique est, à vrai dire, le cinématographe qui était déjà déposé par Monsieur Léon Bouly en 1892, mais qu’il n’a pas su exploiter par la suite. Notre invention, bien qu’elle comporte une avance technique considérable depuis celle de 1892, est d’autant plus révolutionnaire qu’elle est jumelée à un savant dispositif de projection sur grand écran afin que les images capturées sur la pellicule puissent être vues par un grand nombre de personnes en même temps.

Emile Bompars, autant fasciné par l’invention de Louis Lumière que de son nouveau cercle d’amis, essaye par tous les moyens de faire partager à Jules de Beauregard son engouement pour cette nouvelle machine.

– Jules ne trouves-tu pas cela fascinant ? Cet appareil peut capturer et stocker des images en mouvement et les projeter sur un mur. Imagine tes automobiles roulant dans la campagne, capturées et projetées en pleine action sur écran ici en plein Paris !.........

MOTEUR ETIENNE LENOIR

JULES INTERVIEW JEAN-JOSEPH ETIENNE LENOIR

Etienne Lenoir reçoit Jules de Beauregard dans son atelier et lui montre son moteur Lenoir à gaz, créé en 1860 qui certes sera le premier à pouvoir fournir une marche industrielle mais qui, au fil du temps, s’avèrera ne pas être rentable.

Jules sait par avance que monsieur Lenoir est Belge d’origine Luxembourgeoise et naturalisé Français depuis 1881. Pour avoir lu de nombreux articles sur Etienne Lenoir et compte rendu sur ses différentes inventions qui ont plus ou moins été un succès, et pour lesquelles à chaque fois un brevet était déposé, Jules est à l’écoute de toutes ses aventures.

Jules est aussi indulgent pour cet homme très âgé aujourd’hui qui, malgré un parcours professionnel très difficile, n’aura jamais renoncé tout au long de sa vie, et, s’étant fixé une règle de conduite, il aura toujours été au bout de ces convictions.

– Monsieur de Beauregard, depuis le début de ma vie professionnel, je tenais à moderniser d’une façon ou d’une autre la machine à vapeur des sieurs Christian Huyghens et Denis Papin qui avait été conçue pour permettre à l’homme d’alléger sa peine puis bien plus tard de se déplacer ou de transporter des charges. Et c’est donc ainsi que j’ai eu l’idée d’appliquer sur le mécanisme d’une machine à vapeur différents facteurs tels que l’encombrement, moins de poids pour le moteur comme pour le combustible, plus de souplesse, et qu’il puisse démarrer et être arrêté à volonté. En deux mots, un moteur économique, discret, mobile et autonome. Réunissant tous ces critères, j’ai créé ainsi en 1860 le moteur à explosion.

Mes amis, connaissant l’histoire des Italiens Barsanti et Matteucci qui en 1856 ont été les premiers à opérer la démonstration contrôlée du fonctionnement d’un moteur à gaz, j’attends de voir si Lenoir va prendre les Italiens comme référence. Car il n’aura pas fallu plus de 3 jours pour que leur brevet ne soit déjà copié en Angleterre, dans leur propre pays l’Italie, en France puis en Belgique mais avec toutefois de nombreuses modifications apportées à leur invention.

Mais Etienne Lenoir n’en fait aucunement mention. Qu’à cela ne tienne Jules connait la grande valeur de cet inventeur touche à tout qui aura déposé plus de 75 brevets en près de quarante ans. Malgré le succès en demi-teinte de son moteur dont la construction sera abandonnée par la suite, il aura permis l’éclosion de deux talents et surtout leur vocation, créant tour à tour le moteur moderne et le moteur automobile : Nicolas August Otto et Gottlieb Daimler.....

LOUISE SARAZIN

Paris, France / rencontre avec Madame Louise Levassor – Avenue de la Grande- Armée

A peine est-il en présence de madame Louise Levassor, veuve Edouard Sarazin, que Jules est fasciné par la volonté, la vivacité et surtout le regard de feu que dégage cette grande femme brune de bonne stature originaire du midi et qui ne peut que lui confirmer qu’elle possède et affectionne l’art de commander.

Sachant que Jules et Georges sont là pour parler de Gottlieb Daimler, elle commence, sans perdre un instant, à raconter ce qui a été le moment déclencheur dans sa vie calme et sans grands remouds de mère de famille.

– Mon mari, qui avait investi des moyens et beaucoup d’énergie dans la représentation en France des produits de la maison allemande Deutz, s’est retrouvé du jour au lendemain éliminé par les Allemands, alors qu’il avait lancé lui-même l’affaire.

Mes amis ouvrez bien grand vos oreilles car c’est maintenant que le voile va se lever pour vous, fidèles lecteurs du Petit Journal, sur la véritable implication de la France qui va devenir de ce fait, la nation pionnière de l’industrie de l’automobile en venant en aide à Gottlieb Daimler.

– Ouvrant sa propre filiale en lieu et place, continue madame Levassor, la compagnie Deutz ne peut imaginer ce jour là que leur propre destin sera scellé par les personnes dont elle se saura au préalable séparée. Quelque temps après, vient nous voir monsieur Gottlieb Daimler que nous connaissions déjà puisqu’il était aussi une autre victime de la Deutz. Après avoir rebondi dans son propre pays, il vient proposer à mon mari de déposer en France des nouveaux brevets, les siens, qu’il a fait enregistrer en premier en Allemagne. Ainsi mon mari dépose en premier un brevet concernant un embrayage puis celui de l’allumage à incandescence et ensuite vint celui du moteur de la Daimler-Reitwagen. En réfléchissant, nous comprenons l’œuvre de monsieur Daimler qui est en gestation, et nous pensons qu’elle pourrait être à court terme l’instrument de la chute de la Deutz. Nous nous arrangeons pour que dorénavant tous les brevets que monsieur Daimler nous demande de déposer en France, soient à nos deux noms respectifs.

Et c’est là le coup de génie d’Edouard et Louise Sarazin, future madame Levassor, mes amis : en devenant les copropriétaires des brevets Daimler déposés en France par eux-mêmes.1ère étape.......

DESSIN DE LA GROTTE DE MOUTHE

Jules de Beauregard et la Grotte de Mouthe

Eyzies-de Tayac, France / à la sortie du village

Arrivé la veille au soir à Sarlat la Canéda, Jules de Beauregard a tôt fait de prendre la diligence pour le petit village de Eyzies-de-Tayac afin d’aller retrouver son ami Emile Bompars. Jules est très content d’être avec son ami pour à la fois respecter sa parole mais aussi pour mieux le connaître, sachant en lui une bonté profondément humaine et une érudition inexploité au sein du Petit Journal. Les deux amis ayant quitté à pieds le village pittoresque et chaleureux de Eyzies-de- Tayac, ils prennent la direction de la forêt à proximité où a été localisée la grotte. Les deux amis sont subjugués par la beauté de la campagne, offrant des paysages extraordinaires d’une nature sublime aux couleurs d’une richesse incomparable.

– Je suis très flatté que tu sois venu me retrouver ici au fin fond de la Dordogne, Jules, cela me touche beaucoup, précise Emile Bompars.

– Je te l’avais promis, Emile et je souhaite que tu fasses un bon article qui mettra en valeur les dessins que je vais essayer de faire. Ne t’attends à rien de formidable, tu sais j’ai toujours dessiné essentiellement des machines ou des voitures et très rarement des animaux. Mais je vais tâcher de faire du mieux que je pourrai, soit en sûr. Mais parle-moi un peu de cette grotte Emile. Qu’a-t-elle de si extraordinaire ?

– C’est grâce à Emile Rivière, dont les travaux sur l’archéologie préhistorique sont universellement connus, qu’a été découverte cette grotte. Il a dégagé un tunnel long de près de 100 mètres avant de découvrir une entrée donnant dans une grotte ornée de près de 200 peintures et gravures préhistoriques de bisons, chevaux, rennes, félins, loups mais aussi deux mains et un Tectiforme.

– Ah oui !! Rappelle-moi...... préhistorique si j’ai bonne mémoire c’est 35.000 ans avant notre ère, c’est-à-dire à la fin de la dernière période glaciaire. Rien que cela. Et c’est quoi un Tectiforme, Emile ?

– Oui c’est bien Jules, je vois que tu n’as rien perdu de tes années au Lycée. On va dire entre 35.000 et 10.000 ans avant notre ère pour être plus précis. Quant à un Tectiforme, c’est un dessin qui désigne la forme d’un toit. Mais en fait c’est assez énigmatique parce que c’est plus ou moins géométrique et complexe à la fois. Tu vas voir. Initialement, ils ont été interprétés comme des figurations de huttes ou des pièges à loups. Certains pensent même que ce sont des symboles féminins. Cela te change de tes voitures. Au fait le Giffard sait que tu es ici ?......

John Boyd Dunlop et son fils

ARRIVÉ DE JULES DE BEAUREGARD A DUBLIN EN IRLANDE POUR RENCONTRER UN CÉLÈBRE VÉTÉRINAIRE

Vite pris en charge par un chauffeur venu le chercher, Jules se retrouve très vite au sein des entreprises Dunlop où l’attend son fondateur John Boyd Dunlop qui après de rapides salutations, l’entraîne dans les ateliers de fabrication.

– Voilà monsieur de Beauregard, vous avez devant vous les cuves qui nous permettent de réaliser les différents mélanges de caoutchouc pour obtenir la composition parfaite de la fabrication du pneumatique. Il est alors coulé dans des moules sertis d’un gabarit métallique qui forme l’ossature du pneumatique. Une fois sorti de son moule, il est travaillé et affiné pour être collé sur une roue automobile pour permettre ensuite de lui insuffler de l’air à l’intérieur.

Tout en prenant des notes et dessinant également les moules de fabrication des pneumatiques, Jules commence son interview...

– Mais comment vous-êtes vous arrivé à fabriquer des pneumatiques car, si j’ai bien compris, étant vétérinaire, ce n’est pas votre métier à la base, le caoutchouc.

Montrant un vélo et les roues gainées de caoutchouc, John Boyd Dunlop commence son récit.

– Vous avez raison et c’est tout à fait par hasard que j’ai eu cette idée. C’est en regardant mon fils faire du vélo que j’ai eu l’idée de coller sur ses roues en bois des bandes de caoutchouc et leur insuffler de l’air dessous. Cette masse caoutchouteuse et souple par l’air en son intérieur, rendait ainsi son vélo plus maniable et plus confortable à conduire, et permettait à mon fils de dépenser moins d’énergie pour avancer. J’ai aussitôt déposé le brevet quelques jours après, le 23 Juillet 1888. Devant le succès, j’ai créé l’année suivante la Dunlop UK à Dublin, pour la fabrication physique des pneumatiques en grande série. Mais devant la tâche à accomplir, j’ai préféré vendre le brevet à un spécialiste en la matière, William Harvey Du Cros, restant moi-même Président d’honneur de la firme.

– En ce qui concerne l’automobile, comme vous le savez, démarre dans quelques jours la Grande Course Paris-Bordeaux-Paris. Etes-vous parti sur les mêmes bases que pour le vélo afin d’équiper les premières automobiles, lui demande Jules.

Monsieur Dunlop entraîne Jules dans un atelier où se trouve une Panhard-Levassor flambant neuve et s’accroupit devant une des roues de la voiture.

– Oui, dans l’esprit mais les paramètres sont tout à fait différents, rendant ainsi la tâche plus compliquée pour des problèmes de poids, d’envergure de la surface en contact avec le sol et de sa résistance à la chaleur de rotation. Néanmoins, depuis cette année, nous équipons plusieurs voitures de marques différentes et nous serons au départ aussi de cette grande course qui nous passionne nous aussi les Anglais. Mais nous ne sommes pas les seuls ! Je sais que les Frères Michelin de Clermont Ferrand, aussi fabricants de pneumatiques, sont au départ en tant que concurrents eux-mêmes sur une Peugeot. A ce sujet, je me demande lorsque vous allez les visiter dans quelques jours, s’ils vont vous raconter comment leur firme a-t-elle vu le jour dans l’industrie du caoutchouc en France, menée de mains de maître par une femme Britannique...... Je leur laisse le soin de vous narrer cette histoire magnifique. Mis à part cela, ce sera très intéressant de voir leur conception du pneumatique pour automobile durant cette grande course de vitesse, ce qui sera un challenge stimulant pour notre entreprise également

A y réfléchir et à y regarder de plus près, mes amis, nous les Français nous avons vraiment pris le pas sur les autres pays au sujet de cette nouvelle invention : l’automobile et la locomotion mécanique. Que cela soit au niveau création du moteur à explosion et ses différentes phases de développements ou celui des premiers cycles, tricycles et quadricycles, la France est toujours partie prenante dans l’aventure. Même au niveau des modifications et constructions, l’autre pays phare dans cet univers de l’automobile, l’Allemagne, fait appel à notre savoir faire pour se développer elle-même. Et maintenant avec la découverte du pneumatique développée elle par les Anglais, ceux-ci reconnaissent que des Français de Clermont- Ferrand vont encore plus loin dans leur concept. Décidément notre réputation en la matière commence à acquérir ses lettres de noblesse étant reconnu dans plusieurs pays qui ne connaissent pas encore réellement cette nouvelle locomotion de l’automobile.......

LE LIVRE DE LA JUNGLE

Londres, Angleterre / Jules retrouve Emile qui lui vient de rencontrer Rudyard Kipling

De retour d’Irlande plus vite que prévu, Jules est accueilli directement par Emile à sa descente du train à la gare de Paddington.

Emile qui tient absolument à la présence de Jules lors de sa visite chez l’écrivain Herbert. Georges Wells est tout excité d’avoir retrouvé son ami après son escapade en Irlande.

– Alors Emile, tu t’es familiarisé avec Londres et les Anglais ? Comment s’est passé ton entretien avec Rudyard Kipling ?

– Jules, j’adore l’Angleterre et l’esprit aventureux de leurs créateurs qui très souvent sont hors du temps de façon philosophique bien sûr, mais aussi d’une manière plus existentielle. Je t’en parlerai en détails plus tard, il faut courir maintenant et attraper un omnibus pour aller dans la banlieue de Londres. Herbert. G Wells nous attend.

Une fois bien assis dans l’omnibus, Emile relate à Jules son entretien avec Rudyard Kipling...

– Le livre que je t’avais laissé l’année dernière était le premier volume du « Livre de la Jungle ». Il vient juste de publier la suite dans le tome 2. Comme tu l’as lu, ce sont les aventures d’un petit blanc abandonné dans la jungle en Inde et qui va être recueilli par des Loups.

– Pourquoi les aventures de ce petit garçon se passe dans la jungle en Inde et non pas en Afrique lui demande Jules.

– Parce que Rudyuard Kipling est britannique né en Inde à Bombay et qu’il a grandi dans ce pays. Mais le paradoxe c’est qu’il n’a pas écrit cette aventure lorsqu’il habitait en Inde mais aux Etats-Unis d’Amérique dans le Vermont à Brattleboro et en plus en plein hiver.

– Emile que se passe-t-il dans le tome 2 ?

– Le petit Mowgli, recueilli par les loups, apprends à vivre dans la jungle au contact des autres animaux ainsi que leur vie sociale car bien entendu les animaux même sauvage ont des règles bien précises. Ils ont également des lois mais qui sont impitoyables je dois bien te l’avouer, auxquelles tous sont soumis y compris les humains qui s’aventurent dans la jungle. Rudyard Kipling m’expliquait que c’est en écrivant ces aventures animalières se passant au fin fond de la jungle en Inde que lui et sa famille ont réussit à tenir le coup lors de leur installation en plein hiver dans le Vermont. Il n’arrivait pas à chauffer leur maison correctement et les moyens étaient assez limités. La nostalgie de l’Inde l’a poussée à se pencher sur sa table et il commença à écrire les premières nouvelles des aventures de Mowgli et des animaux sauvages qui ont été rassemblées ensuite dans le premier recueil paru l’année dernière.

– J’ai un très bon souvenir de ce premier recueil que tu m’avais donné, précise Jules. Les dessins et illustrations étaient tout simplement magnifiques. Les admirant, je pouvais presque m’imaginer être dans la jungle avec ces animaux.

– A ce sujet, je me suis permis de lui montrer mon reportage de la grotte de Mouthe et il a adoré tes dessins à tel point qu’il veut venir la visiter dès que possible. Il trouve que tes dessins sont d’un réalisme extraordinaire pour des animaux datant de plusieurs milliers d’années. Tu devrais toi aussi revenir sur place car on a trouvé encore d’autres dessins d’animaux sur les murs dans des galeries adjacentes à la première.......

The Time Machine - Herbert G.Wells

Jules de Beauregard et son ami Emile Bompars arrivent devant la maison de Herbert G. Wells

Les deux amis, arrivés à destination, sont fascinés par le quartier où réside l’écrivain Wells qui ressemble à un labyrinthe où se nichent un patchwork de maisons victoriennes et autres, véritables répliques de petits cottages typiquement britanniques séparées par des haies multicolores, toutes taillées au centimètre près.

La maison de Wells est fascinante et semble refléter le personnage et ses aventures hors temps avec tous ces coins et recoins à moitié cachés par de nombreuses plantes et arbustes tombant en cascades. Elle semble enfouie sous un dôme de végétation.

Au deuxième coup de cloche à la grille d’entrée, les deux amis sont saisis d’un coup car une vieille dame est pratiquement et instantanément apparue à la grille d’entrée. Jules et Emile se regarde un peu étrangement n’ayant pas vu par où la vieille dame est arrivée si soudainement. Cela rend encore plus énigmatique la cadre de cette demeure sortie tout droit d’un roman d’épouvante.

Vite introduits dans la maison qui semble réellement faire parti d’une autre époque, les deux français pénètrent dans un petit salon où, malgré que le printemps soit presque à son apogée, crépite un feu dans l’âtre de la cheminée. Les flammes renvoient sur les murs chargés de bibliothèques et d’étagères où prônent au milieu de centaines de livres et ouvrages, des objets tous aussi hétéroclites les uns que les autres. Un paradoxe aussi varié que des souvenirs classiques et d’une banalité qui pourraient faire office d’incongrus dans un tel salon, que des objets à la fois impressionnants par leurs origines variées, parfois même, inconnues pour les deux reporters.

Tellement absorbé par l’étude contemplative de quelques spécimens d’une laideur à vous couper le souffle qui trônent malgré tout sur la plus grande étagère de la pièce, Jules et Emile ne s’aperçoivent qu’au dernier moment qu’ils sont en présence de quelqu’un qu’ils n’ont pas vu et entendu arriver : Herbert Georges Wells. Décidément c’est monnaie courante dans cette maison que ses résidents apparaissent et peut-être disparaissent aussi soudainement se dit en lui-même Jules avec une note d’étonnement.

– Bonjour messieurs, vous avez devant vous des spécimens de l’art créé par les Eloïs, sorte d’androgynes qui habiteront la terre en l’an 802 701. C’est curieux et puissant à la fois, n’est-ce pas demande un Herbert Wells avec une certaine dextérité assez déroutante.

Jules et Emile sont toujours sous le choc de l’apparition d’Herbert Wells venant de nulle part et tardent à lui répondre. Jules l’observe et est étonné de voir un homme si naturel détonnant presque dans ce salon aux confins de l’imaginaire.

Herbert Georges Wells est d’un classicisme tel un employé de bureau, de banque, cheveux court et rasé de près, avec une moustache bien garnie toutefois, dégageant les contours d’un visage bien proportionné, qui exprime force et conviction. Malgré tout, le port de son nœud papillon pourrait le distinguer également tel un professeur d’université. De taille moyenne, il a belle stature et il dégage un certain aura lui donnant une quasi absolution pour tout ce qu’il fait et tout se qu’il pourrait vous dire, contrairement au commun des mortels......

ECLAIR DES FRERES MICHELIN

Clermont Ferrand – France / Jules de Beauregard arrive au sein des usines des frères Michelin

– Alors pour commencer, expliquez moi d’abord pourquoi l’Auvergne et aussi pourquoi autant de défis en même temps, votre production de pneumatiques pour les vélocipèdes marche très bien.

– Pour l’auvergne, Monsieur de Beauregard, c’est une longue histoire qui remonte sous le règne de Charles X, lorsqu’une orpheline britannique, Elizabeth Pugh-Parker, est venu épouser un brillant officier des chevau-légers du Roi, il y a plus de soixante ans. Après son mariage et munie de sa dot, elle vint ici en Auvergne acquérir une sucrerie à Lavort ainsi qu’une exploitation agricole. Malheureusement avant même la première récolte, une crue de l’Allier emporte tout sur son passage y compris la maison. Elisabeth était la nièce d’un homme très célèbre, Charles Mac Intosh qui a inventé un procédé unique en son genre : dissoudre le caoutchouc dans du pétrole pour imperméabiliser les tissus. Ce procédé fera sa fortune.

– Vous venez de mentionner le mot caoutchouc, monsieur Michelin, je commence à imaginer la suite.

– Vous pouvez, monsieur de Beauregard, mais cela ne sera pas si facile croyez-moi. Mais effectivement Elisabeth appelle son oncle a la rescousse qui lui envoi une caisse de 10 kilogrammes de latex, qu’elle confectionne sous forme de balles de caoutchouc et commence à les vendre. Ainsi le caoutchouc est arrivé en Auvergne. Alors je vous passe les débuts difficiles d’Elisabeth en tant que chef d’entreprise, ses associations malheureuses et malgré tout parfois aussi heureuses avec différents financiers tel un certain Barbier qui fut le beau-père de notre cher regretté père Jules Michelin. L’entreprise de caoutchouc pris de l’essor avec plus d’une centaine d’employés. Il y a une quinzaine d’années et par concours de circonstances, la branche d’Elisabeth Pugh-Parker s’est éteinte dans l’aventure. Pour une raison que nous ignorons toujours, notre père se retrouva mêlé lui aussi à cette entreprise dont l’activité était un domaine inconnu pour lui. Ainsi à sa mort, nous nous sommes aperçus que mon frère et moi, nous étions les propriétaires de 90 % de feu l’entreprise d’Elisabeth. Je précise feu puisque à sa mort, son fils n’y entendant rien, transmis la gérance à un notaire qui fit péricliter l’entreprise. C’est pourquoi lorsque nous apprenons que nous en sommes propriétaires, la société est au bord de la ruine.

–Mais alors qu’elle est votre relation, vous personnellement, avec le caoutchouc monsieur Michelin. A vrai dire vous et votre frère Edouard.

– Honnêtement aucun, puisque tous deux nous nous sommes plus dirigés pour vos études vers les beaux-arts, mais auparavant mon frère Edouard, après une licence de droit, s’est dirigé vers une formation de peintre sous la direction de Bourguereau. En ce qui me concerne, le paradoxe est peut-être plus contrasté puisque je suis passé par Centrale avant les beaux-arts puis le Service des Cartes de France pour finir dans un atelier de ferronnerie. Voyez tout mène au caoutchouc, dit pour finir André Michelin en rigolant assez fort...... Allez venez je vous emmène en voiture et cet après-midi je vous ferai visiter les ateliers de fabrication de nos pneumatiques........

ZEPHYR DE CLEMENT ADER

Gretz-Armainvilliers – France / dans le parc du château de Gretz-Armainvilliers

Un groupe d’hommes situé en bordure d’un grand pré assiste à la préparation d’un appareil appelé Zéphyr qui n’est autre que l’Avion II de Clément Ader, l’ingénieur fou qui veut réaliser un décollage motorisé d’un « plus lourd que l’air ».

Jules de Beauregard, qui vient d’arriver dans le parc du Château, tout en garant sa Panhard-Levassor, aperçoit Emile Bompars et Louis Lumière avec sa caméra parmi ces hommes qui observent la scène. Emile se précipite au devant de ses amis :

– Ah ! Jules et Agnès, vous arrivez au bon moment, Clément Ader se prépare pour sa démonstration. Allez venez vite. Au fait Jules ça a été, la route, toi qui vient juste d’obtenir ton permis de conduire ?

–Bonjour mon ami, on arrive! Laisse au moins le temps à Agnès de descendre et comme tu peux le voir, nous sommes bien là sains et sauf. Alors explique-nous un peu ce que nous sommes venus voir ici.

– Eh bien écoute, j’ai fait la connaissance d’un autre ingénieur qui va dans le même esprit que ceux qui ont inventé l’automobile. Il veut voler avec sa machine sur laquelle il a installé un moteur. Venez, je vais vous présenter à ces messieurs. Mes amis voici Jules de Beauregard et sa fiancée Agnès...... Jules je te présente l’état major des établissements Ader et ce monsieur tu le connais déjà... Louis Lumière !

– Bonjour Messieurs... Monsieur Lumière, est-ce là votre nouvel appareil ?

– Oui et non, s’esclaffe Louis Lumière !. Ce n’est pas le cinématographe à lui tout seul, c’est une caméra, qui est l’appareil de prise de vue, et aujourd’hui je suis venu filmer les essais de Monsieur Ader, qui va essayer de décoller avec sa machine « Zéphyr ».

– Jules, comme je n’ai pas de photographe avec moi, tu as toujours ton petit carnet avec toi...... oui, j’en étais sûr ! Tu pourrais me faire quelques croquis de la machine avant et pendant son décollage ? Tu t’imagines quelle invention Jules... La possibilité de te transporter dans les airs ! 

Louis Lumière, tout en maniant la manivelle de sa caméra, coupe la parole à Emile et prévient

– Les amis attention... Clément Ader semble prêt.

Le groupe présent au bord du grand pré devant le Château assiste à un étrange ballet de va-et-vient de Clément Ader dans sa drôle de machine, sorte d’intérieur de voiture supportant une grande voile de part en part sur son toit et mue par un petit moteur à vapeur. L’engin devrait prendre de la vitesse et s’élever ainsi dans les airs, mais apparemment n’y arrive pas.

A chaque passage, des membres de l’entourage de Monsieur Ader scrutent consciencieusement le sol afin de vérifier si l’engin ne se serait pas élevé du sol quelques instants, les traces des roues de sa machine devant à ce moment là, disparaître de la surface du sol.

Mais malheureusement cela ne sera pas pour aujourd’hui ! Clément Ader est, malgré tout, optimiste car il projette de mettre au point une autre machine plus puissante pour les prochains tests........

 

 
PROJECTION DES FRÈRES LUMIÈRE

La Ciotat, France / sur le quai de la gare de La Ciotat

En cette belle matinée du mois de Septembre, quoiqu’assez fraîche toutefois, le Mistral souffle depuis plus de 3 jours. Le train venant de Marseille arrive en gare de La Ciotat. Sur le quai, Emile Bompars attend avec beaucoup d’impatience ses amis venus tout spécialement pour lui et pour les frères Lumière qui présentent aujourd’hui au Cinéma Eden, leur toute première séance de cinéma ouverte au public. Ayant suivi pratiquement depuis le début l’avènement du cinématographe, Emile Bompars, est très heureux car enfin il va pouvoir diffuser l’information de cette invention, en premier, dans les colonnes du Petit Journal.

Puis les retrouvailles avec Louis Lumière et son frère sont d’autant plus chaleureuses car enfin leur invention peut-être dévoilée au grand jour, à la grande satisfaction d’Emile Bompars qui, dès son retour à Paris le lendemain, fera publier le premier article.

Jules se régale avec Agnès d’une petite friture de la Méditerranée et de quelques poissons grillés. En face de lui à table, Emile est tout excité de voir la première prestation des frères Lumière. Jules le félicite.

Le déjeuner est vite avalé, tous ayant hâte d’assister à cette première projection publique qui a attiré une foule considérable, venue voir cette nouvelle invention. Et la projection démarre très fort avec l’entrée en gare de la Ciotat d’un train qui fait hurler les spectateurs. Certains d’émerveillement et beaucoup d’autres, de peur de voir le train sortir de l’écran et rentrer dans la salle de cinéma. Mais plus de peur que de mal et tout le monde d’applaudir... La séance continue avec de l’émotion avec un petit garçon qui essaie de pêcher un poisson rouge dans le bocal, avec la beauté de la Côte d’Azur et les images du bord de mer, de l’adresse avec de la voltige et le clou du spectacle avec du rire, du rire et encore du rire avec le jardinier et la fable de l’arroseur arrosé.

C’est un triomphe et cette première projection publique, a surtout marqué les esprits des protagonistes laissant entrevoir des perspectives incroyables. Les frères Lumière prennent date avec Jules de Beauregard pour lui confier, dès que possible, une caméra afin de faire des prises de vues des nouvelles voitures, et pourquoi pas des courses automobiles ?........

Dirigeable de Alberto Santos Dumont

La Turbie, France / voyage en ballon depuis le Col de la Turbie

Le lendemain de la visite des envoyés du Petit Journal à la Villa Mercedes à Nice, Emile emmena Jules et Georges vers la deuxième surprise de ce déplacement sur la côte d’Azur.

Après avoir pris la route « Moyenne Corniche », reliant Nice à Monaco, ils bifurquèrent vers le col de la Turbie, qu’ils connaissaient déjà depuis leur reportage lors de la course Marseille-Nice, dont l’arrivée au col de La Turbie s’était passée sous la neige.

Arrivés au sommet du col, les trois hommes furent accueillis par Alberto Santos Dumont, qu’Emile connaissait déjà depuis plusieurs mois.

Alberto Santos Dumont est un pionnier franco-brésilien de l’aviation qui habite la France. Il construit ses propres ballons à bord desquels il vole et entrevoit de construire dès que possible, le premier dirigeable pratique.

Cette année, Alberto Santos Dumont vient juste de participer à une course de ballons avec justement un de sa propre fabrication. Il est d’une capacité de 1.800 m3 et l’a nommé « l’Amérique ». L’enjeu de la course : rallier la Creuse depuis Paris, se qu’il fit en vol durant 22 heures........

Paris, France / Exposition Internationale d’Automobile – 13 Juin 1898

En ce début d’été 1898 et à l’initiative de l’Automobile Club de France, Paris est la capitale de l’automobile. Elle organise dans le Jardin des Tuileries, la première Exposition Internationale d’Automobiles, événement unique au monde.

Avec 232 modèles exposés par plus de 200 constructeurs, ceux-ci pour avoir la légitimité d’exposer leurs voitures sur le salon doivent au préalable parcourir la distance Paris-Versailles-Paris, de manière à prouver leur capacité à se mouvoir de façon autonome.

L’A.C.F a imposé cette règle parce qu’elle ne voulait présenter aux yeux du monde entier, que des voitures de haute qualité. D’ailleurs cette règle rentrera en vigueur dès l’année prochaine et sera considérée comme le premier élément des futurs tests d’homologation.

C’est le Président Félix Faure qui inaugure cette première exposition d’automobiles, mais il aura des mots insensés sur les voitures présentées, « elles sentent mauvaises et sont laides ». Une fois de plus Félix Faure aura eu le don de se ridiculiser devant la presse du monde entier.

Jules retrouve des constructeurs qu’il avait déjà visités et de nombreux nouveaux venant de Belgique, Angleterre, Suisse, Italie et bien d’autres. Les constructeurs vedettes sont présents bien sûr tels Panhard & Levassor, Peugeot, Benz, Daimler, De Dion-Bouton, Amédée Bollée, Serpolet et des petits nouveaux comme Delahaye, Mors et bien d’autres. Jules et son acolyte Georges les visitent presque un à un.

Chez Panhard & Levassor, le reporter du Petit Journal apprend de René Panhard lui-même qu’il lui semblait essentiel pour lui et sa famille, et surtout le bien de son entreprise, d’ouvrir son capital à des personnes extérieures. Le premier a rentré au capital de Panhard & Levassor est Gustave Clément, dont René Panhard comprendra peu de temps après qu’il est en relation étroite avec un certain Frederick Simms. Il ne faudra pas beaucoup de temps pour comprendre aussi que l’ami de Gustave Clément, Frédérick Simms est le même Simms en étroite relation avec Gottlieb Daimler, et dont Emile Levassor se méfiait comme de la peste.......

Ballon de Spelterini

 Sion, Suisse / au bord du lac de Sion

A l’invitation d’Eduard Spelterini, Jules et Agnès se retrouvent pour une nouvelle aventure tout à fait inattendue : la traversée des Alpes en ballon.

Jules devait au départ interviewer Eduard Spelterini, après l’avoir rencontré à Paris avec Alberto Santos-Dumont qui envisageait d’équiper ses ballons avec des moteurs De Dion.

Il voulait faire plus amples connaissances avec Spelterini qui a commencé à se faire connaître du grand public pour avoir combiné deux inventions majeures, l’aviation et la photographie.

Pour fêter leur venue jusqu’en Suisse en train, Eduard Spelterini a promis quelque chose d’inoubliable aux deux jeunes fiancés. Un voyage en ballon unique en son genre, avec un départ depuis Sion, direction l’Arc Jurassien par-dessus les Alpes Valaisannes avec une arrivée à Besançon, après avoir tout simplement traversée les Alpes de part en part.

Il fait très beau en cette journée d’automne. Le rendez-vous avait été donné au Château du Tourbillon qui surplombe la ville de Sion et la vallée dans laquelle coule le Rhône.

Le ballon d’Eduard Spelterini où ont pris place les invités du pionnier de l’aérostat, dont Agnès et Jules, est assez impressionnant.

–Monsieur Spelterini, qu’elle est l’envergure de votre ballon, car il est vraiment unique en son genre, ne peut s’empêcher de lui demander un Jules très curieux.

– Merci Monsieur de Beauregard. Alors le ballon avec sa nacelle en osier mesure 17 mètres de haut et 15 mètres de large. Il contient 1.500 mètres cube de gaz et sa toile est composé de carrés et de losanges de soie imprégnée d’huile de lin cousus ensemble. Mon ballon est en fait un aérostat et pour le renforcer, je l’ai entouré d’un filet de cordes de chanvre. Par cette technique, on peut éviter le danger d’une destruction complète lors d’une mésaventure ou d’une déchirure........